« Il faut y croire pour y donner vie » • Confucius | |
C'est bien beau tout ça, mais quand je regarde ma chambre, je me dis qu'il serait peut-être temps de la ranger. Pourtant, je reste là dans mon joyeux bordel, et j'observe les murs sans réagir. Ranger, ce mot est presque maudit dans mon vocabulaire. Si je pouvais choisir de gommer des mots du dictionnaire, nul doute que celui-là serait le premier à disparaître définirivement de la surface de la Terre. Et en même temps, le monde est déjà un tel bordel que si je rayais ce mot, l'apocalypse serait encore plus proche qu'elle ne n'est déjà, non ? Je soupire et je laisse mon regard divaguer par la fenêtre, obsevant en silence les étudiants qui se meuvent au dehors. Je les regarde les uns après les autres et je leur invente des vies, sans jamas en faire partie, sans jamais connaître quoi que ce soit des différents protagonistes. Je me contente de les observer de loin et d'imaginer leurs mondes comme s'ils étaient dans des univers parallèles au mien. J'aime me dire qu'ils ne me connaissent pas et que dans ma tête, je choisis toutes les histoires et toutes les aventures qui leur arrivent. C'est amusant et ça me permet de passer le temps, faut se le dire. Non pas que mon quotidien soit ennuyeux ni rien, quoi qu'il l'est probablement. Mais disons que dans un monde comme le nôtre, la richesse de l'imagination est un peu le plus beau des trésors. Un trésor que j'ai la chance de posséder depuis mon plus jeune âge, et dont je suis très satisfait.
Finalement, plutôt que de continuer à regarder le souk qui danse dans la pièce et lui donne un air rapetissé, je décide de quitter les lieux pour aller prendre l'air. Je longe le couloir sans donner un regard aux autres étudiants et je descends les escaliers dans le plus grand silence. Dehors, le froid mordant m'arrache une grimace et mon teint pâle rappelle à quel point je suis un adepte de l'enfermement solitaire. Je souffle dans l'air une volute de fumée blanche, puis je fourre mes mains dans mes poches et je pars marcher un moment dans la cour, comme si je pouvais y trouver une nouvelle source d'inspiration pour mes prochaines histoires imaginaires. Seulement voilà : les oiseaux qui gazzouillent et les rayons du soleil qui réchauffe les cœurs ne sont pas vraiment les sujets principaux des histoires que je m'invente, et être dehors dans ce décor apocalyptique ne m'aide finalement pas comme je m'y attendais. Je décide de rentrer après un long moment d'errance, et le simple fait de mettre un pied dans le dortoir réchauffe tout mon être en un instant. Sans pour autant esquisser un sourire, je garde mes mains dans mes poches et remonte d'un pas nonchalent jusqu'à ma chambre, dont la porte est étrangement entre ouverte. Je m'arrête une seconde, réfléchis. Non, pour sûr que je ne l'ai pas laissée ouverte en partant. Un voleur dans le pensionnat ? Etonnant, vu la surveillance accrue … Je m'avance et entre avec méfiance.
Là, devant moi, un type plutôt … très grand me fait face. Je le dévisage en silence, n'esquissant pas la moindre grimace de contentement ou de contrariété, et je l'observe simplement. Mais bien vite, l'animal semble avoir besoin de venir pisser sur le nouveau poteau que je représente. Il s'approche d'un pas assuré, comme s'il était le mâle dominant des lieux, et pose ses pattes sur mes épaules. Mon regard se pose lentement sur son visage et descend nonchalament sur son bras pour arriver à sa gauche avant de revenir sur sa face. Je plonge mes yeux d'émeraude dans les siens, qui ne semblent alors plus vouloir me lâcher pendant qu'il entame un long discours à la manière de ces politiciens ratés qui essaient de convaincre l'assemblée de leur mérite inconditionnel d'être à la tête du peuple. Sauf que je n'ai pas voté pour lui, loin de là. Alors qu'il déblatère les nouvelles règles de la maison, mon regard passe de son visage inintéressant à ses affaires jetées sur le deuxième lit de la chambre. Je perçois quelques info', que je range quelque part dans ma mémoire. "fumer", "bordel", "caleçons", "enchanté" … Je repose mon regard d'émeraude dans le sien et reste silencieux un moment. Je recule d'un pas pour que ses mains quittent mes épaules, et déjà il s'éloigne vers son nouveau plumard. Je fixe son dos, toujours aussi muet, réservant mon jugement comme pour ne pas gâcher mes mots. Je m'approche finalement de mon lit, ramasse une chaussette qui dépasse de l'un des pieds et la balance sur mon bureau dans un mouvement lent.
- Moi c'est Zack. Vu ta taille, on aura qu'à dire que les fringues les plus petites sont les miennes, et les plus grandes t'appartiendront. Deux bordéliques dans la même chambre. Soit les surveillants veulent nous apprendre à ranger en nous mettant avec quelqu'un d'aussi chiant que nous-même, soit ils ne se rendent pas compte du cataclysme que notre mise en duo risque de provoquer. Quoi qu'il en soit, je n'aime pas ce type.